Au cours de ses vingt ans de carrière au sein de la presse informatique professionnelle, Serge Leblal, Directeur des rédactions du Monde Informatique, CIO-Online, Distributique et Le Monde du Cloud, a vu la presse professionnelle évoluer, principalement sous l’effet du développement de l’iPhone et de l’avènement de la presse en ligne, et plus récemment, avec la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19. Nous avons eu la chance de l’interviewer et de recueillir son analyse et ses conseils.

 

Quels ont été les grandes étapes de votre parcours au sein des rédactions IT B2B ?

Avant de rejoindre la rédaction du Monde Informatique (LMI) en 1998, j’étais développeur de bornes interactives pour la Réunion des musées nationaux (RMN), après avoir fait des études d’histoire et de sciences politiques. A l’époque, je travaillais sur Director et j’utilisais le langage de programmation Lingo – ça remonte !  Je suis devenu journaliste en écrivant des articles sur ces thématiques, avec lesquelles j’étais à l’aise. Par la suite, j’ai travaillé pour MacWorld, InfoPC et Digitalworld, avant de revenir à LMI en 2008 en tant que Directeur de la rédaction.

 

Comment la presse informatique a-t-elle évolué au cours des 20 dernières années ?

D’un côté, les technologies ont évolué, accélérant le rythme des projets et modifiant la façon de développer des applications et de les proposer aux utilisateurs. Pour la presse, tout a changé avec la montée en puissance du web à partir de 2007, avec l’arrivée de l’iPhone qui procurait un confort de lecture inédit. Ce sont les lecteurs qui ont décidé, quand ils se sont aperçus qu’il était possible de consommer autrement les contenus et de trouver un complément d’information à la presse papier sur son smartphone.

Certains journalistes, qui considéraient le web avec mépris, n’ont pas compris cette révolution et s’y sont farouchement opposés, menant des guerres stériles au sein des rédactions. Pour ma part, j’ai toujours trouvé que le papier et le web étaient complémentaires et qu’il fallait coupler intelligemment ces deux ressources : le web pour l’actualité et le papier pour les dossiers de fond.

 

De quelle(s) façon(s) cette révolution du web a-t-elle impacté les rédactions ?

Internet a complètement changé le modèle traditionnel de la presse, à commencer par une diminution des besoins en ressources humaines grâce à l’automatisation permise par le web. L’autre conséquence a été l’effondrement et la disparition des revenus publicitaires pérennes. Chez LMI, une partie de nos revenus provenaient des petites annonces et des offres d’emploi que nous publiions sur le magazine et qui sont ensuite revenues à LinkedIn ou à d’autres sites spécialisés ; ça nous a fait beaucoup de mal. Il a fallu s’adapter et nous y sommes heureusement arrivés ; à l’heure actuelle, la répartition des lectures entre le papier et le web est de l’ordre de 60-40.

 

Sachant que la presse IT B2B s’adresse principalement à un public professionnel et des entreprises, pourquoi n’est-elle pas passée en totalité sur un modèle payant ?

Le problème, c’est qu’on a habitué les lecteurs à accéder gratuitement aux contenus web, en complément des versions papier par abonnement. Quand les éditions papier ont commencé à péricliter et les revenus à baisser, il était déjà trop tard pour rectifier le tir. Le modèle idéal, celui pour lequel notre groupe a opté, est un modèle hybride : sur LMI, certains articles en ligne sont en accès payant, en échange des coordonnées que nous exploitons ensuite – dans le respect du RGPD, bien entendu. De son côté, CIO-Online a adopté un modèle de type « gaming », qui permet d’acheter des points pour accéder aux articles ou bien d’en gagner en assistant à des événements du groupe. Nos concurrents en France et à l’étranger sont passés sur le même modèle que nous, en accès réservé premium avec qualification du lectorat. Les seuls médias professionnels payants sont les lettres spécialisées qui disposent d’un public très limité, comme La Lettre A qui marche bien auprès des politiques et décideurs.

 

Comment la rédaction de LMI a-t-elle vécu la période du confinement ?

Le plus gros changement pour nous a été le passage en mode virtuel de tous nos événements physiques habituels, en particulier les matinées CIO et LMI. Ayant anticipé l’échéance du confinement une semaine avant, nous avons vite réfléchi à un nouveau modèle, interrogé quelques prestataires et choisi un studio d’enregistrement, puis nous avons modifié nos formats initialement basés sur le présentiel des invités pour les adapter aux nouvelles pratiques de web-conférence. Quand le confinement est tombé, nous étions prêts, et nos invités du premier semestre ont été au rendez-vous. Nous avons ainsi réalisé une dizaine d’émissions depuis mars ; tout s’est très bien passé et nous n’avons pas connu de baisse d’activité de ce côté-là.

Concernant la rédaction, nos collaborateurs sont déjà habitués au télétravail, nous nous sommes donc juste assurés qu’ils étaient bien équipés et installés pour travailler dans les meilleures conditions possibles. Tout le monde ne réagit pas de la même façon face à la peur de la maladie. J’ai donc mis en place des mesures adaptées à chacun pour travailler en bonne harmonie, comme la mise à disposition la voiture électrique de fonction de la rédaction pour que certains journalistes viennent travailler au bureau plutôt que de rester enfermés chez eux.

 

La crise sanitaire va-t-elle signer la fin de la presse papier, déjà en difficulté ?

Certains titres souffrent, en effet. Il s’agit de ceux qui ont mal géré le passage au web. La crise contribue simplement à accentuer une situation déjà préexistante. Globalement, je trouve que tout le monde s’est plutôt bien adapté au confinement. On verra ce qu’il en est à la rentrée, car on annonce des faillites en cascade à ce moment-là. Pour nous, l’activité s’est bien maintenue ; nos audiences ont chuté durant la première semaine du confinement, mais elles sont ensuite reparties en flèche, dépassant même de 15 à 20 % les scores de l’année dernière à la même période. Les sujets Covid et post-Covid fonctionnent bien, ils permettent de voir comment les DSI et autres décideurs d’entreprise se sont adaptés au confinement et répondent aux demandes de leurs collaborateurs.

Néanmoins, il nous faut rester vigilant, car on ne sait pas de quoi demain sera fait, et nous devons poursuivre nos efforts pour espérer préserver la situation confortable dans laquelle nous nous trouvons.

 

Quel est votre conseil aux acteurs de la presse IT B2B pour réussir à redresser leur situation dans ce contexte difficile ?

Aux rédactions, je conseille d’éviter le mélange des genres et de bien distinguer le métier de journaliste et le métier de communicant. Le lecteur n’est pas idiot, il sait faire la part des choses et comprendre si c’est un journaliste indépendant qui lui parle ou si c’est un contenu sponsorisé. Pour ce qui est des entreprises, je leur conseille de soigner la qualité de leurs contenus et d’écouter ce qu’on leur dit : il est important d’adapter les messages corporate aux différents marchés locaux, ce qui est encore trop peu souvent le cas. Notre directeur général, Nicolas Beaumont, a bien compris la fragilité actuelle de la presse et nous encourage au maximum à indiquer correctement chaque type de contenu sur le site du Monde Informatique, avec un code couleur spécifique pour les publications sponsorisées, pratique que je valide et soutiens entièrement !

 

Elodie Buch