Chronique «Aux petits soins»

Effets secondaires du vaccin H1N1 : les indemnisations traînent

Plus de onze ans après avoir été vaccinée contre le virus de la grippe H1N1, Marie attend toujours son indemnisation en raison d'effets secondaires que nul ne conteste. L'Etat doit payer, car il s'était engagé bien vite auprès des firmes pharmaceutiques à indemniser les victimes.
par Eric Favereau
publié le 24 novembre 2020 à 12h00

Elle dit ne pas avoir de mots. Se montre «ahurie» surtout. Plus de onze ans après les faits, elle attend toujours son indemnisation après sa vaccination en 2009 contre la grippe H1N1 qui a provoqué chez elle une narcolepsie-cataplexie, très invalidante. C'est pourtant l'Etat qui doit la lui verser, car lors de l'achat du vaccin, les autorités sanitaires françaises s'étaient engagées à prendre en charge le coût des éventuels effets secondaires, ce qui au passage était une jolie fleur offerte aux firmes pharmaceutiques.

Aujourd’hui, ils sont peut-être 200 vaccinés en France atteints par cette maladie (1). Une goutte d’eau par rapport aux 6 millions de personnes qui ont été vaccinées dans l’Hexagone, ne remettant pas en cause l’utilité de ladite vaccination. Il n’empêche, cette narcolepsie-cataplexie n’est pas anodine. Elle se caractérise par une somnolence en journée avec des accès de sommeil incontrôlables, et peut aussi s’accompagner de pertes soudaines du tonus musculaire (cataplexie), risquant de provoquer des chutes.

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Les données actuelles de causalité sont assez peu sujettes à contestation : elles ont pointé une association significative entre la vaccination contre la grippe A (H1N1) et la survenue de narcolepsie chez les enfants et adolescents âgés de 5 à 19 ans, confirmant un risque de 12,7 à 13 fois plus élevé de développer une narcolepsie-cataplexie après vaccination.

«On ne vous croit pas, c’est cela qui est terrible»

Marie C. a été vaccinée alors qu'elle était en sixième. Ses parents l'ont aussi été mais n'ont rien eu. Aujourd'hui, elle a 22 ans, suit un master de droit à l'Université de Bordeaux. Et sa vie est désormais marquée par cette malchance génétique. «Au bout de quelques mois, je dormais beaucoup en classe, mais je pensais que je ne dormais pas assez longtemps la nuit», raconte-t-elle à Libération. Ce n'est que deux ans plus tard que le lien a été fait, et depuis elle est suivie par le professeur Yves Dauvilliers, spécialiste des troubles du sommeil au CHU de Montpellier.

Très vite et très logiquement, les parents de Marie engagent une procédure de demande d’indemnisation devant l’Office nationale d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam). A priori, pas de souci. La procédure est à l’amiable, l’Etat s’étant engagé à prendre en charge le coût de l’indemnisation. Nul ne remet en cause pour Marie le lien de causalité entre la vaccination et la maladie.

Mais voilà, tout traîne. L'Oniam refuse au départ d'indemniser, sous prétexte que les symptômes n'ont été déclarés que deux ans après. «Au début, je ne me rendais pas compte. Je savais que ce serait long, mais je ne pensais pas que ce serait aussi long, raconte Marie. On ne vous croit pas, c'est cela qui est terrible.» Puis cela a encore traîné. Alors une procédure est engagée au tribunal administratif par ses parents. Encore deux ans. «L'Oniam se décide à faire une proposition partielle d'indemnisation en septembre 2020… Vous vous rendez compte, dix ans plus tard, lâche Marie. Et ce n'est pas fini. Ils sont incapables de nous donner une offre totale. On nous redemande des papiers. Et cela dure. On attend. Je viens de recevoir une date d'audience pour le 8 décembre.»

«Ne pas être regardée comme une victime»

«C'est vraiment insupportable, s'agace Me Charles Joseph-Oudin, qui suit une centaine de dossiers autour du H1N1. L'Oniam fait des propositions souvent dérisoires, et on doit passer devant le tribunal administratif pour les contraindre à indemniser normalement.» Et cet avocat de nous donner trois exemples. Dans le dossier M.A., l'Oniam a proposé 166 000 euros, le tribunal administratif a évalué l'indemnisation à 1,3 million d'euros. Dans un autre dossier, l'Oniam aurait «refusé d'indemniser au motif que le lien de causalité avait été qualifié de vraisemblable par les experts, l'Office disant qu'elle n'indemnisait que si c'était "très vraisemblable"». Ou encore dans le dossier O., où, selon l'avocat, l'Oniam a refusé d'indemniser car le vaccin est le Panenza – l'Office n'acceptant d'indemniser que les conséquences de l'autre vaccin, le Pandemrix. Le tribunal administratif a finalement ordonné l'indemnisation.

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Voilà. Marie attend. Tous les jours, elle prend sept pilules et, depuis dix ans, elle se doit d'avoir une hygiène de vie stricte pour limiter les pertes de tonus musculaires. «Je ne sors pas. Il faut que je me couche toujours à la même heure.» Elle avoue ne parler de sa situation à personne, en tout cas pas à ses nouveaux amis. «Je ne veux pas être regardée comme une victime.» Puis : «Cela m'abasourdit que tout traîne.» Pour expliquer tant de lenteurs, l'Oniam a répondu à Libération que se posaient souvent des questions d'imputabilité. Pour Marie, ce n'est pas le cas.

(1) Selon l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam), il y a 173 demandes d'indemnisations, dont 105 de narcolepsie. A ce jour, 57 victimes ont été indemnisées.

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