Le coronavirus précipite les salons horlogers dans l'ère numérique

Contrainte de se réinventer, l'industrie horlogère sort des salons privés pour s'exposer en ligne. Vraie révolution ou changement cosmétique ?

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Cartier, comme toutes les marques du groupe Richemont, présentera ses nouveautés sur la plateforme digitale Watches & Wonders à partir du 25 avril. Inaugurée cette année, l'interface sera alimentée durant les douze prochains mois et accessible au grand public. 
Cartier, comme toutes les marques du groupe Richemont, présentera ses nouveautés sur la plateforme digitale Watches & Wonders à partir du 25 avril. Inaugurée cette année, l'interface sera alimentée durant les douze prochains mois et accessible au grand public.  © DR

Temps de lecture : 4 min

«  À quelque chose malheur est bon  », dit l'adage. La profonde mue des salons professionnels, engendrée par leur annulation pour cause de virus, l'atteste. Formats obsolètes, coûts dispendieux, intérêt relatif… La liste, longue comme le bras, des griefs établis par les horlogers à l'encontre des salons dédiés à la promotion de leur art était, depuis longtemps, connue de tous. Le Swatch Group, les marques horlogères de LVMH, Breitling et quelques autres avaient, du reste, pris l'initiative de se passer de ces événements, faisant bande à part, en Suisse ou à l'étranger, au prix d'une inflation des déplacements et au risque d'affaiblir l'importance de la Confédération dans l'industrie horlogère. Au-delà des querelles de clocher, provoquée par le départ pétaradant d'exposants historiques de Baselworld, sonnant probablement le glas de ce rendez-vous centenaire, l'impossibilité de se réunir cette année jette une lumière crue sur l'utilité des salons et la pertinence de leur format.

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Autre temps, autres mœurs

Historiquement, les deux temps forts qu’étaient le Salon international de la haute horlogerie (nouvellement Watches & Wonders) et Baselworld avaient une vocation pratique. Ils servaient à présenter les nouveautés aux journalistes et aux détaillants venus des quatre coins du monde en un lieu unique. Ces derniers prenaient commande en début d’année, laissant le temps aux ateliers de produire les quantités nécessaires. La raison d’être des salons était alors d’une logique implacable. Toutefois, portée par des considérations économiques et écologiques, l’idée d’une dématérialisation des présentations a fait son chemin. L’évolution des stratégies de distribution a, elle aussi, fragilisé leur raison d’être. «  Depuis cinq ans, nombreuses sont les manufactures qui ont fait le choix de renoncer à leur distributeur pour s'adresser directement au client final, via leur réseau de boutiques, physiques ou en ligne », reconnaît Fabienne Lupo, directrice de la Fondation de la haute horlogerie (FHH). Alors qu'ils sont bouleversés par un nouvel agenda de communication, les marques souhaitant échelonner leurs lancements sur l'année, le pronostic vital des salons, sans vocation commerciale et alors qu'ils sont bouleversés par un nouvel agenda de communication, était engagé.

Prenant acte de ces nouveaux modus operandi, la FHH, organisatrice de Watches & Wonders, avait revu sa copie, décalant son événement du mois de janvier au mois d’avril «  pour rapprocher la présentation des produits de leur date d'arrivée en boutique » et ouvrant les portes de la foire au grand public. En effet, la pérennité des salons semble être conditionnée à leur capacité d'élargir leur cible en offrant aux firmes la possibilité d'interagir avec des consommateurs. Dans cette perspective, la FHH travaillait à moyen terme au développement d'une plateforme numérique. Cette dernière sera finalement dévoilée le 25 avril, date à laquelle aurait dû ouvrir le salon.

La nouvelle plateforme watchesandwonders.com entend devenir une destination de référence pour les amateurs de montres. Elle continuera d’être actualisée avec des contenus riches et innovants tout au long de l’année.  © DR

Interagir avec le grand public

«  Avec 30 prestigieuses maisons participantes, le site watchesandwonders.com, accessible à tous, permettra de découvrir l'univers de l'horlogerie ainsi que les nouveautés 2020. Des pages seront dédiées à chacune des marques, sur lesquelles les visiteurs pourront découvrir leurs dernières innovations et leur univers respectif. Ils auront également un accès aux remontées des réseaux sociaux des marques et pourront être redirigés vers les sites des maisons  », détaille Fabienne Lupo, qui précise qu'il ne s'agit pas d'un salon, mais d'une plateforme complémentaire qui sera alimentée tout au long de l'année. Cette dernière n'ayant donc pas vocation à se substituer au salon physique mais à devenir une destination de référence pour les amateurs de belles montres.

S’il est trop tôt pour évoquer l’articulation de ce concept bicéphale avec le salon lancé par les marques ayant fui Baselworld, une question demeure : pourquoi ne pas avoir directement rejoint les rangs de Watches & Wonders ? «  L'industrie sort de 30 ans de cristallisation entre deux destinations. Les rapprochements se font par étapes. Il faut déjà se féliciter de la nouvelle puisque cette manifestation se tiendra à Genève, en partenariat avec la FHH », pointe Fabienne Lupo, sans faire mystère de son ambition de réunir à terme toutes les marques de haute horlogerie pour parler d'une même voix de cet art séculaire.

S'il faut applaudir ces bonnes intentions, le sort des plus petites maisons qui profitaient de la présence des ténors de l'industrie à la foire de Bâle pour se faire connaître et vendre leurs marchandises inquiète. Même chose pour les marques de milieu et d'entrée de gamme dont la Confédération semble avoir déserté le terrain et qui sont pourtant cruciales pour la survie de l'outil industriel helvétique. Il faut garder à l'esprit que les ténors que sont Rolex, Cartier ou Audemars Piguet n'ont pas besoin de salon pour exister. Priver la base de l'édifice de visibilité polariserait davantage ce marché déjà grandement déséquilibré. Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet et Richard Mille représentent à elles seules 35 % du marché. Les marques du Swatch Group, de Richemont, de LVMH et de Kering revendiquent, elles, 55 % des parts. Même robustes, ces quelques marques haut de gamme ne pourront pas indéfiniment porter l'industrie horlogère suisse dans son ensemble.

 

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