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L’effet de cadrage : comment biaiser la perception d’une information

« Les intox du cortex » (2/6). Donner un « cadrage » à une question permet d’influencer largement les choix des humains en raison de la connotation que l’on y associe.

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Publié le 15 août 2023 à 11h00

Temps de Lecture 3 min.

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Commençons cet article par une petite expérience ⬇️

Vous êtes à la tête de la direction générale de la santé et vos services vous informent qu’une nouvelle maladie est sur le point d’apparaître en France et risque de tuer environ 600 personnes. Deux plans pour lutter contre l’épidémie vous sont soumis :

  • si le plan A est adopté, 200 personnes seront sauvées.
  • si le plan B est adopté, il y a 33 % de probabilité que 600 personnes soient sauvées, et 66 % de probabilité que personne ne le soit.

Quel plan choisirez-vous ?

Imaginons maintenant que vos services vous proposent deux autres plans complémentaires contre l'épidémie :

  • si le plan C est adopté, 400 personnes mourront.
  • si le plan D est adopté, il y a 33 % de probabilité que personne ne meure et 66 % de probabilité que 600 personnes meurent.

Quel plan choisirez-vous ?

Imaginons maintenant que vos services vous proposent finalement deux autres plans complémentaires pour lutter contre l'épidémie :

  • si le plan C est adopté, 400 personnes mourront.
  • si le plan D est adopté, il y a 33 % de probabilité que personne ne meurt et 66 % de probabilité que 600 personnes meurent.

Quel plan choisirez-vous ?

Vous avez choisi les plans qui vous paraissaient éviter le plus de risques, ce qui n’est pas surprenant. Néanmoins, si le plan A a été l’option la plus choisie par les participants de cette étude (72 %), le plan C l’a nettement moins été (22 %). Vous avez certes été influencé par la formulation sur votre premier choix, mais pas sur le second.

Vous avez choisi les plans qui vous paraissaient éviter le plus de risques, ce qui n’est pas surprenant. Néanmoins, vos choix des plans A puis D ont été largement influencéé par les mots utilisés pour « cadrer » votre décision. En effet, le plan B que vous avez souhaité éviter est le strict équivalent du plan D que vous avez par la suite préféré. Les deux aboutissent au même résultat, ils ne diffèrent que parce que l’un parle des vies à sauver et l’autre des vies qui seront perdues.

Vous avez choisi les plans les moins populaires parmi les personnes sur lesquelles cette étude a déjà été menée. Seuls 28 % ont opté comme vous pour le plan B, en raison de l’incertitude qu’il présente sur le nombre de vies sauvables, tandis que 22 % ont choisi le plan C. Vous ne semblez pas avoir été influencé par les formulations retenues, bravo.

Vous avez choisi les plans jugés les plus risqués par la majorité des personnes sur lesquelles cette étude a déjà été menée. Seuls 28 % ont opté comme vous pour le plan B, en raison de l’incertitude qu’il présente sur le nombre de vies sauvables. En revanche, 78 % ont opté pour le plan D car l’incertitude se porte au contraire sur le nombre de décès attendus. Vous avez certes été influencé par la formulation sur votre second choix, mais pas sur le premier.

Cette expérience, décrite dans un article publié en 1981 dans la revue Science par les chercheurs Amos Tversky et Daniel Kahneman (Prix Nobel d’économie en 2002), illustre ce que l’on appelle en psychologie l’effet de cadrage, un biais cognitif qui influence notre perception des informations et des choix possibles en fonction des connotations positives ou négatives auxquelles elles sont associées.

Par exemple, l’expérience montre que, au premier questionnaire, 72 % des personnes interrogées choisissent le plan A, qui permet d’avoir la certitude de sauver 200 personnes. « Le choix majoritaire sur ce problème est synonyme de réticence au risque : la perspective de sauver 200 vies est plus attrayante qu’une perspective risquée de valeur égale, celle d’avoir une chance sur trois de sauver 600 vies », commentent Tversky et Kahneman. Au second questionnaire, en revanche, c’est l’inverse : seuls 22 % choisissent le plan qui provoque 400 morts, la grande majorité (78 %) préférant la perspective d’avoir une chance sur trois que « personne ne meure ».

Si l’on suit la logique, les plans A et C reviennent au même, puisque sauver 200 personnes équivaut à obtenir 400 morts. Pourquoi le choix majoritaire s’est-il déporté ? Parce que le cadrage cognitif entre les questionnaires a changé : l’un parle des personnes qui seront sauvées, l’autre de celles qui mourront. Les choix proposés sont les mêmes, mais la présentation a influencé la façon dont les répondants ont interprété le niveau d’incertitude et de risque. « Si on vous dit que vous avez 50 % de chances de vivre, contre 50 % de chances de mourir, sur le plan statistique, si on était des êtres de logique pure, ce serait exactement la même chose. Sauf que dans une phrase, on entend “vivre” et dans l’autre, on entend “mourir”, de fait, on oriente en termes d’imagination, de projection dans le futur », explique Mathieu Hainselin, maître de conférences en psychologie à l’université de Picardie.

Quand le cadrage influence les décisions politiques

Depuis les années 1980, cet effet de cadrage a été abondamment documenté dans de nombreux secteurs où l’on doit composer avec des choix comportant leur part de risque. Une étude publiée en 2018 dans Political Research Quarterly par deux chercheurs de l’université de Toronto a montré comment des élus locaux américains ont été influencés dans leurs choix par la façon dont la question leur a été posée. Quatre cent quarante élus ont été soumis à une expérience proche de celle menée par Tversky et Kahneman, concernant une ville menacée d’inondation par le barrage voisin.

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