Congrès mondial de la nature à Marseille : pour sauver la Grande bleue, "il faut agir sans plus attendre"

Guillaume Sainteny, directeur du Plan bleu, près de Lina Tode, sa directrice adjointe, et Katarzyna Marini du MedECC, hier matin lors d'une conférence donnée au Parc Chanot.

Guillaume Sainteny, directeur du Plan bleu, près de Lina Tode, sa directrice adjointe, et Katarzyna Marini du MedECC, hier matin lors d'une conférence donnée au Parc Chanot.

Photo DTA

Marseille

Souvent peu connus du grand public, les experts alertent sur la dégradation du bassin méditerranéen

On se dit que souvent, quand Guillaume Sainteny, Lina Tode (Plan Bleu) ou Katarzyna Marini (MedECC) rentrent chez eux, ils doivent avoir le moral tout au fond des chaussettes.

À l'image des membres du Giec pour le climat, ces experts observent, analysent et tentent d'alerter sur la dégradation affolante du bassin méditerranéen. Réchauffement climatique (20 % plus rapide que la moyenne mondiale), augmentation de la température de l'eau de mer (jusqu'à +3,5º d'ici 2100), de l'air (+2,2º d'ici 2040, contre +1,5º dans le monde), un dérèglement des précipitations (-30 % au printemps-été, de 10 à 20 % en plus à la saison hivernale), acidification de la mer, augmentation de son niveau (de 0,43 m à 2,5 m selon les projections, d'ici 2100)... Déjà, 48 % des habitats des zones humides, 41 % des prédateurs marins, 30 % des herbiers de posidonie ont disparu. Surpêche, pollution de l'air et de l'eau, accumulation des déchets plastiques, accès à l'eau et à l'alimentation déjà en péril : qu'on tente de le retourner dans un sens ou dans l'autre, c'est bien un cataclysme écologique et humain qui est en cours sur les rives de la Grande bleue.

En langage diplomatique : "Malgré les efforts initiés, la Méditerranée est sous la menace imminente de dommages irréversibles aux écosystèmes qui vont compromettre le bien-être humain." Déjà, 15 % des décès dans ce bassin de 512 millions d'habitants, première destination touristique mondiale, sont attribuables à des facteurs environnementaux pourtant évitables. L'accès à l'eau, à la nourriture, à la santé est menacé pour des millions de personnes.

Dans ce marasme, Guillaume Sainteny, directeur du Plan bleu, un observatoire scientifique créé en 1977, dans la foulée de la Convention de Barcelone sur la préservation de l'environnement maritime et les espaces côtiers de Méditerranée, et travaillant sous l'égide de l'ONU, perçoit néanmoins des lueurs d'espoir : "On voit clairement une évolution des questions de biodiversité dans les agendas nationaux et internationaux, alors que depuis 15 ans, elles étaient à la traîne des préoccupations de l'UICN, pointait-il hier matin au Parc Chanot. Aujourd'hui, beaucoup de gens lient enfin le climat et la biodiversité."

Positive également, "l'irruption" des questions économiques et financières dans un domaine qui n'était jusqu'ici abordé que sous l'angle réglementaire. "Prenez l'objectif des 5 % d'aires protégées, poursuit M. Sainteny. 5 %, c'est bien, mais cela veut dire que 95 % de la Méditerranée ne le sera pas ! Nous, on dit qu'il faut aussi s'occuper du reste, de cette biodiversité ordinaire qui, quantitativement, est essentielle."

Pour Lina Tode, sa directrice adjointe, même si "on a une idée plutôt noire de ce qui attend la Méditerranée, on veut diffuser dans la tête des décideurs des images d'une région durable". Le défi est immense pour sauver ce milieu sous pression : "On a besoin de changements urgents, collectifs et en profondeur, martèle-t-elle. Cela signifie aussi changer nos valeurs : on n'y arrivera pas si on continue à prendre l'avion plusieurs fois par an ou à changer régulièrement de smartphone !"

Ce réveil des consciences n'est pas impossible. Il passe par la connaissance, nourrie notamment par les rapports successifs du Plan bleu et du MedECC (un réseau indépendant de 700 scientifiques) : "On peut construire une aquaculture durable, classer la Méditerranée en zone Eca pour la protéger de la pollution du transport maritime et des croisières, mesurer les puits de carbone que recèle la posidonie, travailler sur le sujet des subventions accordées aux activités dommageables pour l'environnement", ajoute Guillaume Sainteny, qui assume de maintenir le Plan bleu "à l'interface entre science et politique".

Les citoyens, face à ces enjeux, ne sont pas impuissants : "Ils peuvent s'emparer juridiquement de ces questions. Le droit français peut autoriser un projet que le droit international proscrirait. Or, il lui est supérieur."