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VIEUX RAFIOT

Mer de Chine : quand un navire de la Seconde Guerre mondiale cristallise les tensions

Le président américain Joe Biden a promis, mercredi, de venir en aide à son allié philippin si la Chine s'en prenait au BRP Sierra Madre. Les incidents qui se multiplient autour de ce vieux navire datant de la Seconde Guerre mondiale pourraient devenir la goutte qui fait déborder les tensions en mer de Chine 

Le navire  BRP Sierra Madre a été volontairement échoué par les Phiilppines en 1998.
Le navire BRP Sierra Madre a été volontairement échoué par les Phiilppines en 1998. © REUTERS - Erik de Castro
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C'est un bateau américain qui a participé à la Seconde Guerre mondiale et à la guerre du Vietnam. Acquis plus tard par les Philippines, le BRP Sierra Madre se retrouve aujourd'hui au cœur d’une flambée de tensions sino-philippines en mer de Chine méridionale. Une escalade qui risque de pousser les États-Unis à intervenir en soutien à Manille, avec qui Washington a une alliance militaire qui a été renforcée en avril 2023.

La marine chinoise fait tout pour empêcher des bateaux de ravitaillement d’atteindre cette vieille "épave" de 100 mètres de long qui se trouve sur le banc Second Thomas, un atoll des îles Spratleys. Ces dernières font l’objet depuis plusieurs décennies de revendications territoriales et maritimes à la fois des Philippines et de la Chine.

Laser militaire ou canon à eau géant

Dimanche 22 octobre, un bateau des gardes-côtes chinois est ainsi entré en collision avec un navire de ravitaillement philippin. Auparavant, la Chine avait pointé un "laser de type militaire" sur un vaisseau envoyé pour ravitailler le BPR Sierra Madre et en avait arrosé un autre avec un canon a eau géant en début d’année.

Et ce ne sont là que les exemples les plus marquants des incidents qui se multiplient autour de cette relique de la Seconde Guerre mondiale, rappelle le Wall Street Journal.

Le BRP Sierra Madre n’est pas une nouvelle épine dans le pied marin chinois. "Il a été intentionnellement échoué en 1999 sur l’atoll Second Thomas pour établir physiquement la revendication des Philippines sur le récif, situé dans sa zone économique exclusive", souligne Pak Kuen Lee, spécialiste de la politique étrangère chinoise au Centre de recherche et d’analyse des conflits de l’université du Kent.

Les Philippines ont échoué le BRP Sierra Madre sur l'atoll Second Thomas, dans l'archipel des Spratleys.
Les Philippines ont échoué le BRP Sierra Madre sur l'atoll Second Thomas, dans l'archipel des Spratleys. © Studio graphique France Médias Monde

À l’époque déjà, Manille avait agi ainsi en réponse à une provocation chinoise. "Son installation sur ce bout de terre intervient quelque temps après l’occupation du récif Mischief voisin par la Chine [en 1995, NDLR]", note Moises Lopes de Souza, spécialiste des conflits maritimes en Asie à l’université du Lancashire central.

Depuis lors, le BRP Sierra Madre incarne à lui tout seul "les tensions et les rivalités géopolitiques en mer de Chine méridionale", résume Basil Germond, spécialiste des questions de sécurité maritime à l’université de Lancastre.

Pendant longtemps, Pékin a toléré la présence de ce vestige de la Seconde Guerre mondiale dans une zone où la Chine espère pourtant "exercer un contrôle absolu au détriment de toutes les autres nations qui pourraient avoir des revendications [essentiellement les Philippines et le Vietnam, NDLR]", note Andrew Chubb, spécialiste des différends maritimes et territoriaux chinois à l’université de Lancastre.

La faute à Mère nature

Les autorités chinoises ont longtemps accepté que les Philippines envoient du ravitaillement à l’équipage d’une dizaine de personnes en poste sur ce bateau échoué. Elles ne voulaient pas pousser la confrontation trop loin. "Le BRP Sierra Madre n’a, en réalité, jamais été démobilisé par la marine philippine et il est toujours officiellement en activité. Autrement dit, si la Chine s’en prend à ce navire, elle attaque le territoire philippin", explique Moises Lopes de Souza.

Depuis près de 25 ans, les Philippines ont ainsi trouvé un moyen original pour "établir sur cet atoll la frontière de leurs revendications maritimes", ajoute Moises Lopes de Souza. À ce titre, "c’est devenu le symbole d’un pays qui réussit à résister avec succès à l’effort chinois d’étendre son influence sur toute la région", estime Andrew Chubb.

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C’est donc un exemple pour les autres nations asiatiques contre lequel Pékin ne peut pas grand chose… sauf à compter sur le temps. "La ligne rouge tracée par la Chine concerne les réparations du bateau qu’elle ne tolérerait pas", note Andrew Chubb.

D’où le regain de tension autour de ce vieux rafiot. "C’est la faute à Mère nature ! Cela fait un an, en fait, que la coque du BRP Sierra Madre se détériore de plus en plus, et, sans réparations, ce serait bientôt la fin", explique Andrew Chubb.

Il y a donc un intense jeu du chat et de la souris actuellement autour de cet avant-poste philippin plus ou moins décrépit. La Chine intensifie son harcèlement des navires philippins pour s’assurer qu’il n’y a pas de matériel de réparation qui passe à travers les mailles de son filet. Et Manille, de son côté, "fait tout pour casser le blocus de facto que la Chine tente d’imposer, afin de maintenir son navire à flot", affirme Pak Kuen Lee.

Pas question pour Ferdinand Marcos Jr., président des Philippines depuis un peu plus d’un an seulement, de laisser tomber cette épave. Politiquement, cela reviendrait "à accepter une perte de souveraineté face à la Chine", souligne Moises Lopes de Souza.

Chine vs Philippines... et États-Unis

Mère nature n’est pas la seule responsable de l’escalade actuelle des tensions sino-philippines autour de ce navire. Pékin a mal digéré le récent virage pro-Washington de Manille. L’ex-président Rodrigo Duterte s’est longtemps comporté en ami de la Chine avant de changer son fusil d’épaule en fin de mandat, et "Ferdinand Marcos Jr. est encore plus farouchement antichinois et proaméricain", souligne Moises Lopes de Souza.

La Chine se doit donc de montrer ses muscles et un vieux bateau représente une bonne occasion de le faire. "Les récents harcèlements des navires philippins sont une démonstration par l’armée chinoise qu’elle est prête à utiliser davantage la force pour s’imposer en mer de Chine méridionale", estime Zeno Leoni, spécialiste des questions de sécurité chinoise à l'International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.

Et c’est un problème pour l’autre grande puissance qui veut affirmer son autorité dans la région : les États-Unis. "L’ex-président américain Barack Obama avait été critiqué pour s’être montré trop faible face à la Chine en 2012 lorsque cette dernière avait occupé le récif de Scarborough en mer de Chine méridionale. Washington avait essayé d’apaiser les tensions au lieu de soutenir fermement son allié philippin. Mais depuis lors, les Américains ont accusé la Chine d’en avoir profité pour poursuivre la construction d’installations militaires sur ces îles", explique Pak Kuen Lee. Il estime qu'aujourd'hui, Washington se montrerait plus ferme en cas d’incident dans l’archipel des îles Spratleys.

C’est d’autant plus vrai que les États-Unis et les Philippines ont resserré leur alliance l’an dernier. Depuis lors, l’administration Biden a réaffirmé à plusieurs reprises son soutien à Manille face à la menace chinoise. Le président américain a encore averti Pékin, mercredi 25 octobre, qu'il "défendrait" son allié en cas "d’attaque" d’un de ses bateaux.

À ce titre, le BRP Sierra Madre pourrait devenir l’étincelle qui met le feu aux poudres, estiment les experts interrogés par France 24. Pour l’instant, la Chine fait preuve d’une certaine retenue et ne s’adonne qu’à des provocations "car elle ne veut pas apparaître comme le responsable d’une crise majeure", assure Moises Lopes de Souza.

Mais à trop multiplier les incidents, l’un d’eux pourrait se transformer en accident plus grave. Auquel cas, Manille fera sans doute appel à son allié américain. Et là, "ce sera un test de crédibilité pour Washington dans la région", avertit Zeno Leoni. Tous les amis des États-Unis – Japon, Australie, Taïwan – regarderont de très près si on peut compter sur l’allié américain.

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