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Jurisprudence administrative
Conseil d'Etat, 8 / 9 SSR, du 17 mars 1993, 85894, mentionné aux tables du recueil Lebon
Président : M. Rougevin-Baville
Rapporteur : M. Le Pors
Commissaire : M. Arrighi de Casanova

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la requête, enregistrée le 19 mars 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Roger X..., demeurant ... ; M. X... demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 16 décembre 1986 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu, ainsi que des pénalités y afférentes, auxquelles il a été assujetti au titre des années 1976 à 1979 :
2°) prononce la décharge de ces impositions et pénalités ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu, en audience publique :
- le rapport de M. Le Pors, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 4 du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur en 1976 : "1. Sous réserve des dispositions des conventions internationales ..., l'impôt sur le revenu est dû par toutes les personnes physiques ayant en France une résidence habituelle. Sont considérées comme ayant en France une résidence habituelle : 1° Les personnes qui y possèdent une habitation à leur disposition à titre de propriétaires, d'usufruitiers ou de locataires ..." ; qu'aux termes de l'article 4 A du code général des impôts, applicable en 1977, 1978 et 1979 : "Les personnes qui ont en France un domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus ..." ; qu'aux termes de l'article 4 B du même code, applicable aux mêmes années : "1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : a) Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; b) Celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ; c) celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques ..." ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 3 de la convention conclue le 28 mai 1973, entre la France et la Tunisie, en vue d'éliminer les doubles impositions : "1.- Au sens de la présente convention, l'expression "résident d'un Etat contractant" désigne toute personne qui en vertu de la législation dudit Etat est assujettie à l'impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. - 2. Lorsque, selon les dispositions du paragraphe 1, une personne physique est considérée comme résident de chacun des Etats contractants, le cas est résolu d'après les règles suivantes : - a) cette personne estconsidérée comme résident de l'Etat contractant où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent. Lorsqu'elle dispose d'un foyer d'habitation permanent dans chacun des Etats contractants, elle est considérée comme résident de l'Etat contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux) ; - b) si l'Etat contractant où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut être déterminé, ou qu'elle ne dispose d'un foyer d'habitation permanent dans aucun des Etats contractants, elle est considérée comme résident de l'Etat contractant où elle séjourne de façon habituelle ; - c) si cette personne séjourne de façon habituelle dans chacun des Etats contractants ou si elle séjourne de façon habituelle dans aucun d'eux, elle est considérée comme résident de l'Etat contractant dont elle possède la nationalité" ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté que M. X... avait la disposition d'un appartement situé à Paris qui constituait une résidence habituelle, au sens des dispositions précitées de l'article 4 applicables aux revenus de l'année 1976 ; que, pour les années 1977 à 1979, l'importance des revenus de source française perçus par le requérant ainsi que la possession par lui de six appartements, d'un important portefeuille de valeurs mobilières et de participations dans plusieurs sociétés en France conduisaient à le regarder comme ayant eu dans ce pays le centre de ses intérêts économiques, au sens du c) du 1 de l'article 4 B précité, alors même qu'il assurait en Tunisie la gérance d'une société et y possédait un patrimoine, dont l'importance était sensiblement moindre ; qu'il résulte de ce qui précède que M. X... était en principe, pour l'ensemble des années en cause, passible de l'impôt sur le revenu en France, à moins qu'il établisse son droit de se prévaloir de la qualité de résident de Tunisie au sens des stipulations précitées de la Convention franco-tunisienne ;
Considérant qu'il est constant que M. X... disposait d'un foyer d'habitation permanent dans chacun des deux Etats ; qu'eu égard à l'origine tunisienne de ses revenus professionnels et française d'une partie au moins de ses revenus fonciers et mobiliers, à la répartition, entre la France et la Tunisie, de son patrimoine tant immobilier que mobilier, à la présence en Tunisie de son épouse, alors que ceux de ses enfants vivant en France n'étaient plus à sa charge, le requérant doit être réputé avoir eu des liens personnels et économiques étroits avec les deux Etats, sans que le centre de ses intérêts vitaux puisse, pour l'application du 2-a) de l'article 3 de la Convention précitée, être attribué à l'un ou à l'autre de ces Etats ; que l'intéressé, qui effectuait de fréquents allers et retours entre la France et la Tunisie, séjournait de façon habituelle dans chacun des deux Etats, au sens du b) du même article ; que M. X... doit, dès lors, être regardé, en vertu du c) dudit article, comme résident de Tunisie dont il possédait alors la nationalité ; que, par suite, sont seuls imposables en France les revenus de M. X... dont l'imposition n'est pas réservée à la Tunisie, en application des stipulations de la Convention franco-tunisienne ;

Considérant qu'aux termes de l'article 28 de ladite Convention : "les éléments du revenu d'un résident d'un Etat contractant qui ne sont pas expressément mentionnés dans les articles précédents de la présente Convention ne sont imposables que dans cet Etat" ; que les revenus d'origine indéterminée taxés d'office en application des dispositions combinées des articles 176 et 179 du code général des impôts, repris aux articles L.16 et L.69 du livre des procédures fiscales, ne sont pas au nombre de ceux que mentionnent les autres articles de la Convention ; que, par suite, M. X... qui avait, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la qualité de résident de Tunisie, ne pouvait être imposé en France à raison de tels revenus ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a refusé de faire droit à sa demande en décharge ;
Article 1er : Le jugement susvisé du tribunal administratif de Paris en date du 16 décembre 1986 est annulé.
Article 2 : M. X... est déchargé des compléments d'impôt sur le revenu mis à sa charge, par voie de taxation d'office, au titre des années 1976 à 1979.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Roger X... et au ministre du budget.