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340 entraîneurs accusés de délits sexuels au Canada en 20 ans, plus de 600 victimes

Un ballon de soccer sur le terrain.

Le Edmonton Fusion FC joue un rôle d'intégration pour les nouveaux arrivants.

Photo : Radio-Canada / Daniel Ricard

Radio-Canada

Une enquête conjointe de CBC News et de CBC Sports, à laquelle Radio-Canada Sports a contribué, a mis au jour un nombre inquiétant d'entraîneurs de jeunes athlètes qui ont été accusés de délits sexuels envers des mineurs. En prenant connaissance de cette enquête, des experts demandent une réforme majeure de l'ensemble du monde du sport canadien.

D'après une enquête de Lori Ward et Jamie Strashin, en collaboration avec Marie Malchelosse

Dans les 20 dernières années (1998-2018), période que couvre cette enquête, 340 entraîneurs du sport amateur au Canada ont été accusés d’un délit sexuel. Au total, 222 de ces accusations ont donné lieu à des condamnations pour des gestes envers 603 victimes mineures. Et le problème persiste. En date du 25 janvier 2019, notre enquête a relevé que 34 dossiers additionnels étaient toujours devant les tribunaux.

« On sait qu’il y a un problème depuis longtemps, qu’il y a des abus qui se passent dans le contexte sportif, mais de voir ces chiffres-là, c’est percutant », a lancé la professeure titulaire au département d’éducation physique de l’Université Laval Sylvie Parent.

« Ça me cause une incroyable peine. C'est incompréhensible qu’on mette nos jeunes dans des situations de vulnérabilité, où ils peuvent être avec des prédateurs, comme celles qui ont été décrites dans ce polaroïd », a dit Lorraine Lafrenière, qui est à la tête de l’Association des entraîneurs du Canada, en apprenant les résultats de notre enquête.

Il y a une fausse sensation de sécurité quand vous laissez votre enfant à son club sportif. L’encadrement le moins structuré est au niveau des clubs.

Une citation de Lorraine Lafrenière, chef de direction de l'Association des entraîneurs du Canada
Lorraine Lafrenière, chef de direction de l'Association des entraîneurs du Canada

Lorraine Lafrenière, chef de direction de l'Association des entraîneurs du Canada

Photo : Radio-Canada

Pour créer sa base de données, CBC News et CBC Sports ont fouillé des milliers de dossiers judiciaires, d’articles journalistiques et ont visité d’innombrables tribunaux, sans se limiter au sport de haute performance. L’équipe a tenté de recueillir toute l’information disponible sur ceux qui dirigent ou surveillent les centaines de milliers de jeunes canadiens qui, chaque année, sont inscrits dans une panoplie d’activités sportives.

Ce qui a émergé de ces recherches est un portrait dérangeant de l’ampleur des délits sexuels commis par des entraîneurs ou des personnes en position de pouvoir dans le sport amateur canadien depuis 20 ans.

Les 340 accusations vont de l’agression sexuelle à l’exploitation sexuelle en passant par le leurre d’enfants et la fabrication ou la possession de matériel pornographique juvénile.

Même si les victimes n’ont pas systématiquement été des athlètes s’entraînant sous la responsabilité de l’entraîneur inculpé, les accusations remettent en doute la sécurité du système sportif canadien pour les athlètes de tous âges, peu importe leur pratique sportive.

Dans les 10 premières années couvertes par l’analyse de CBC, 118 accusations ont été déposées pour 88 condamnations. Dans la dernière décennie, ces nombres ont presque doublé avec 238 entraîneurs accusés et 145 reconnus coupables.

« Nous avons l’occasion de prendre les résultats de cette enquête et de trouver comment nous devons changer. Si nous avions un système standardisé qui permettrait aux parents de comprendre ce à quoi ils doivent s’attendre des clubs sportifs un peu partout au pays, alors nous pourrions arriver à réduire le nombre de cas d’abus », affirme Lorraine Lafrenière.

Nous avons besoin d'une harmonisation des codes de conduite. C'est ça la clé pour provoquer un changement à travers le système canadien.

Une citation de Lorraine Lafrenière

La pointe de l’iceberg

Pour les chercheuses Sylvie Parent ainsi que l’ancienne avironneuse olympique et professeure à l’Université de Winnipeg Sandra Kirby, les données recueillies par CBC/Radio-Canada constituent seulement « la pointe de l’iceberg » des délits commis par des entraîneurs au pays.

Notre enquête a répertorié 603 victimes. Mais selon l'ancienne athlète olympique Sandra Kirby, aujourd'hui professeure à l'Université de Winnipeg et experte internationale en matière d'abus dans le sport, il pourrait y avoir plusieurs autres milliers de cas qui n'ont jamais été signalés.

Elle affirme également que les organisations sportives partout au pays ne peuvent ignorer les conclusions de cette enquête.

« Il y a des gens qui ne comprennent toujours pas l’ampleur du problème, même avec tout ce qui est rendu public par la presse, assure-t-elle. Le sport fait partie du domaine public, le sport est soutenu par l’argent public et nous avons le devoir d’offrir à tous les athlètes et sportifs au pays un encadrement sécuritaire. »

Sandra Kirby, professeure à l'Université de Winnipeg et experte internationale en matière d'abus dans le sport

Sandra Kirby, professeure à l'Université de Winnipeg et experte internationale en matière d'abus dans le sport

Photo : Radio-Canada

Aucun sport n’est épargné

La base de données créée par CBC montre que des accusations criminelles ont été déposées envers des individus impliqués dans 36 sports différents.

« C’est un problème qui touche tous les sports. Aucun sport n’est épargné », insiste Sandra Kirby, qui souligne que si un sport n’apparaît pas dans la base de données, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de cas, mais qu’aucune accusation criminelle n’a été déposée.

Le hockey, deuxième sport au pays pour le nombre de participants, est celui qui compte le plus grand nombre de personnes accusées avec 86. De ce nombre, 59 ont été reconnues coupables et 8 dossiers sont encore devant les tribunaux.

Le soccer, le sport le plus pratiqué au Canada, arrive au 2e rang avec 40 personnes accusées. 27 d’entre elles ont été condamnées et 2 entraîneurs attendent leur procès.

D’autres sports avec un fort taux de participation arrivent en tête de liste : 32 entraîneurs de basketball ont été accusés, 25 d’arts martiaux et 23 de natation.

« Il y a un danger de se dire que ça se passe dans le monde du hockey, ou de la gymnastique ou du ski alpin. C’est le système qui est le problème, insiste Lorraine Lafrenière. Les prédateurs sont des personnes rusées qui cherchent des points d’accès. Alors, s’ils entrent dans un vestiaire ou un gymnase et qu’ils voient des jeunes sans surveillance ou qu’ils peuvent isoler, alors c’est là qu’ils vont aller. »

Seulement 9 des 222 condamnations l’ont été envers des femmes. Les victimes, elles, sont autant des jeunes garçons que des jeunes filles.

« Ça confirme nos propres chiffres, indique Sylvie Parent. Au niveau de l’abus sexuel de l’entraîneur, il n’y a pas de différence significative entre les sexes tant que ce soit les filles et les garçons, ce qui n'est pas le cas à l'extérieur du sport. C'est quand même un peu surprenant parce que, quand on regarde les statistiques en dehors du milieu sportif, les filles sont quatre fois plus à risque de vivre un abus sexuel. Par contre, en contexte sportif, ces différences ne sont plus là. »

Les provinces les plus populeuses du pays sont également celles où le plus de condamnations ont été dénombrées : l’Ontario (86), le Québec (57), la Colombie-Britannique (30) et l’Alberta (23), alors que la plus petite province du pays, l’Île-du-Prince-Édouard, ne compte qu’une accusation et aucune condamnation.

Peu d’améliorations en 20 ans

De nombreuses histoires d’entraîneurs et de personnes en position d’autorité abusant d’athlètes ont été au cœur de l’actualité récente, au pays comme ailleurs.

Aux États-Unis, l’affaire du médecin de l’équipe nationale Larry Nassar a ébranlé le monde de la gymnastique jusque dans ses fondations, tandis qu’au Canada, de nombreux entraîneurs des équipes olympiques ont fait ou font face aux tribunaux pour divers méfaits sexuels envers leurs athlètes, y compris l’entraîneur de l’équipe nationale junior féminine de ski alpin Bertrand Charest, condamné à 12 ans de prison en 2017 pour inconduite sexuelle et agression, et ceux de l’équipe nationale de gymnastique Dave Brubaker et Michel Arsenault.

Dave Brubaker (à droite) en compagnie de son avocat Patrick Ducharme

Dave Brubaker (à droite) en compagnie de son avocat Patrick Ducharme

Photo : The Canadian Press / Geoff Robins

Dave Brubaker a plaidé non coupable, en octobre, à des accusations d'agression sexuelle, tandis que Michel Arsenault a été arrêté à son domicile d'Edmonton le 16 mai 2018. Il fait face à quatre chefs d'accusation pour agressions sexuelles et trois autres pour voies de fait pour des gestes commis à l'endroit de six victimes à Montréal à la fin des années 1980 et au début des années 1990.

Michel Arsenault

Michel Arsenault

Photo : Radio-Canada

Il y a 23 ans déjà, les révélations de Sheldon Kennedy sur les abus de l’instructeur de hockey Graham James ont choqué les Canadiens. En 1997, James a plaidé coupable d’avoir agressé deux de ses joueurs des centaines de fois. Après sa sortie de prison en 2001, il a avoué avoir fait quatre autres victimes, dont l’ancienne étoile de la Ligue nationale Theoren Fleury.

Ce qui a été la première histoire largement publicisée d’un entraîneur abusant de ses athlètes devait entraîner des changements au Canada. De nombreuses voix se sont alors fait entendre afin que les organisations sportives se dotent de réglementations plus serrées et plus sécuritaires pour les jeunes et pour que les différents paliers sportifs facilitent d’éventuelles plaintes.

Toutefois, peu de choses ont changé depuis.

Les organisations sportives nationales ont connu des difficultés à instaurer des règles uniformes et accessibles pour protéger les athlètes. Les clubs amateurs en ont eu davantage.

« On a vraiment de la difficulté [à définir] au niveau du sport, entre autres, le modus operandi [des prédateurs]. Des études, on n’en a pas vraiment. Donc, c'est difficile de comprendre qui est ce type de personnes et quelle est leur stratégie. On a quelques histoires notamment de Sheldon Kennedy et d’autres victimes qui ont partagé leurs expériences. On sait quelques éléments à ce niveau-là, mais ça reste anecdotique », explique Sylvie Parent.

« Ce qu’on sait, poursuit-elle, c'est que les organisations sportives peinent à se démener dans ce dossier-là. C'est extrêmement difficile pour eux. On en a vraiment eu des échos dans les recherches qu'on a faites au Québec. Il manque de soutien et manquait de ressources pour pouvoir gérer le dossier, il manque de compétences clairement là-dedans. On ne peut pas leur en vouloir jusqu’à un certain point. Ça prend clairement une entité indépendante appuyée sur la recherche qui pourrait permettre d'avoir une politique, globale, unique pour tous les sports. »

Sylvie Parent,  professeure titulaire au département d’éducation physique de l’Université Laval

Sylvie Parent, professeure titulaire au département d’éducation physique de l’Université Laval

Photo : Radio-Canada

Vers un registre national des entraîneurs

Les experts interrogés relèvent quelques facteurs qui permettent à des prédateurs sexuels de continuer de sévir. Les organisations se concentrent trop sur le succès sportif et sur les victoires, soulignent-ils, pendant qu’elles ignorent les signaux d’avertissement entourant les entraîneurs problématiques. Les organisations locales sont également laissées à elles-mêmes pour développer et mettre en œuvre des processus de sélection plus sécuritaires.

Sandra Kirby et Lorraine Lafrenière affirment que la clé est de donner aux parents le plus d’informations possibles, ce qui inclut d’être plus transparent à propos des entraîneurs problématiques et de créer un guichet unique d’information sur les personnes qui s’impliquent dans le sport amateur.

« Nous avons besoin d’un registre national. Et je pense que les organisations sportives ont besoin de listes publiques. Les gens du milieu sont toutefois craintifs d’aller dans cette direction, affirme Sandra Kirby.

« Mais s’il y a un problème qui a été révélé, il doit y avoir une manière de le régler. Si un entraîneur a eu des relations sexuelles avec une mineure, son nom doit aller sur une liste complètement publique qui dit qu’il ne peut plus entraîner, qu’il est mis à l’écart du sport. C’est aussi simple que ça. »

« Il y a eu très peu de gestes efficaces posés par les différents sports », poursuit Mme Kirby.

Il n’y a aucune association provinciale ou nationale qui propose aux clubs locaux et aux parents une liste des entraîneurs bannis du sport et la raison pour laquelle ils le sont.

« [Il y a un] vacuum qui existe entre la politique qui est mise en place au niveau de la fédération et ce qui est réellement mis en place sur le terrain, analyse Sylvie Parent. Là, on pourrait s'assurer d'avoir une meilleure coordination entre les paliers d'intervention sportive, entre le système de protection de la jeunesse au Québec et le système sportif. »

CBC a contacté 35 organisations sportives nationales et leur a demandé si elles avaient une liste publique des entraîneurs ou des bénévoles qui ont été bannis, accusés ou condamnés pour un crime. Des 25 qui ont répondu, seulement 3 offrent une forme ou une autre d’information publiquement accessible.

Patinage Canada dévoile les noms de tous les entraîneurs suspendus et congédiés. Athlétisme Canada offre une liste des entraîneurs suspendus et congédiés, alors que Canada Hippique a une liste des licences invalides. Aucune organisation ne donne de l’information claire si ces exclusions sont pour une infraction bénigne comme avoir omis de payer sa licence ou pour quelque chose de plus grave comme une offense criminelle.

Hockey Canada fait partie des organisations qui n’ont pas répondu à nos demandes.

Au niveau provincial, CBC a fait la même demande à 133 organisations dans 17 sports et 61 ont répondu. Quatre ont une liste publique.

L’Association provinciale de gymnastique de l’Ontario a une section de son site Internet qui donne la liste de ses membres qui ont été suspendus et est la seule organisation qui publie la raison pour laquelle ils l’ont été.

Judo Québec et les associations de soccer et de baseball de la Colombie-Britannique publient également un avis à propos des personnes qui ont des restrictions sur leur rôle ou une liste de celles qui sont suspendues.

« Nous avons besoin de quelque chose. Nous avons besoin d’un registre qui fait le suivi des entraîneurs. Maintenant, la question c’est comment ça fonctionne », se demande Lorraine Lafrenière

« C’est une recommandation qui a été faite récemment, à savoir une banque de données des entraîneurs, par exemple, ou des autres intervenants. Une banque de données pour colliger ces informations sur les comportements, les personnes qui ont été réprimandées par exemple, reconnues coupable de, accusées de, parce qu'il y a de la mouvance entre les sports », observe Sylvie Parent.

« Cette banque locale pourrait être gérée entre autres par cette instance, indépendante, qui permettrait d'avoir une information claire sur qui je veux dans mon organisation et qui j'aime mieux ne pas avoir dans mon organisation. Ça, présentement, on ne l’a pas, ça ne se parle pas toujours non plus entre les fédérations. Et dans la banque que CBC a répertoriée, on voit que des entraîneurs ont agi dans différents sports », ajoute-t-elle encore.

Pour les jeunes athlètes, entraîneurs, parents, ou toute personne impliquée dans le milieu sportif, témoins de violence, vous pouvez contacter l’organisme Sport’Aide : 1-833-211-AIDE (2433), aide@sportaide.ca ou facebook.com/sportaide.

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