Plus d'un million de Franciliens ont quitté la région parisienne avant le confinement : comment Orange le sait

Les mesures de confinement ont poussé les habitants de Paris et de la petite couronne à migrer dans d’autres régions, selon les données de géolocalisation collectées par l’opérateur grâce à son réseau d’antennes-relais.

 Illustration. En se connectant à trois antennes en même temps, notre téléphone indique sa position au réseau et à l’opérateur.
Illustration. En se connectant à trois antennes en même temps, notre téléphone indique sa position au réseau et à l’opérateur. LP/Julien Barbare

    Des données fiables pour quantifier des mouvements soudains de population. En suivant le déplacement de leurs téléphones portables, Orange a pu mesurer la fuite des habitants de la région parisienne, enclenchée juste avant - ou peu après - le début du confinement.

    Sur Europe 1 mercredi matin, le PDG de l'opérateur, Stéphane Richard, a avancé le chiffre de 17 % de la population de Paris et de la petite couronne qui a fait ses valises entre le 13 et le 20 mars pour rejoindre sa famille ou une résidence secondaire.

    Comment Orange a pu obtenir un pourcentage aussi précis ? « Ce chiffre est obtenu en extrapolant les données de recensement de l'Insee et les données brutes basées sur nos abonnés - qui représentent 40 % du marché -, mais aussi de toutes les personnes qui se sont connectées sur notre réseau mobile sur cette période », précise l'opérateur.

    Trois antennes donnent la position individuelle

    Afin d'obtenir des données exploitables et d'observer un volume de mouvement des appareils, l'opérateur a utilisé le maillage d'antennes-relais de son réseau.

    Pour déterminer quelle population se connecte et où, il y la technique de la triangulation des terminaux comme dans les films policiers. Son défaut : produire une quantité monstrueuse de données individuelles.

    « Notre téléphone envoie en permanence des mini-signaux aux trois antennes-relais ou bornes téléphoniques les plus proches. Le système peut ainsi localiser le terminal en agrégeant la connexion avec ces trois antennes fixes qui couvrent une zone précise », explique Maurice Gagnaire, professeur spécialiste des réseaux optiques et radio à Telecom Paris.

    Mais dans cette étude précise, Orange a eu recours à la collecte des «événements de signalisation », c'est à dire le moment où le téléphone active une antenne-relais avec l'envoi d'un SMS ou le téléchargement d'une mise à jour.

    L'opération détecte un volume global d'activations dans la zone de couverture de l'antenne. Le système de suivi a donc vu que le propriétaire d'un téléphone, qui a « borné » le matin à Evry et le soir même sur le littoral Atlantique, a plié bagage.

    Un outil interne pour exploiter les données

    Comme chaque téléphone et son numéro associé possèdent une adresse IP unique, leur propre signature, il est également aisé de déterminer qui a migré d'une zone à une autre. C'est ainsi que l'opérateur a pu générer des métadonnées de géolocalisation pour des dizaines de milliers d'utilisateurs.

    Afin de traiter ce flux automatique, les ingénieurs d'Orange ont reconfiguré un outil commercial d'une de ses filiales baptisé Flux Vision. Il sert d'ordinaire à mesurer les déplacements des touristes vers les lieux de villégiature estivaux, permettant ainsi aux offices de Tourisme et aux collectivités locales de prédire les arrivées et d'adapter les infrastructures et les offres commerciales aux arrivants avec plus d'acuité.

    Le logiciel Flux Vision a dû être recalibré il y a une dizaine de jours pour couvrir toute la France métropolitaine. Ce sont donc des dizaines de milliers de points de géolocalisation qui sont apparus sur les radars de l'opérateur. Une mine d'informations utiles pour les chercheurs, comme ceux de l'Institut français de la recherche médicale (Inserm) qui suivent les mouvements de la population pendant la pandémie.

    Mais une pratique qui interroge sur le respect de la vie privée des abonnés, étudiés de près, et qui n'ont pas donné leur accord. « La France n'est pas la Chine ! Il n'y a pas de traçage des individus », s'est défendu Stéphane Richard sur Europe 1.

    Des données quasi anonymes

    Orange insiste sur une collecte de données totalement anonymisées, qui respecte donc la directive européenne ePrivacy et le Règlement européen sur la protection des données (RGPD).

    « La question du consentement de l'abonné se pose pourtant, car même si elles sont anonymisées, le numéro qui s'est connecté au réseau correspond en interne à un e-mail ou à une adresse qui peuvent être éventuellement exploités », alerte Ramzi Labri, fondateur de VA2CS, une société spécialisée dans la triangulation qui géolocalise les personnes fragiles.

    « Nous n'effectuons que des comptages. Nous ne gardons jamais l'identifiant et ne pouvons donc pas l'associer à une adresse e-mail, une adresse ou tout autre élément d'une base de données individuelle », a tenu à préciser Orange.

    Cette première collecte pourrait être suivie d'autres. Le commissaire européen Thierry Breton s'est entretenu lundi avec les patrons de plusieurs grands opérateurs européens, dont Orange, qui se sont dits prêts à partager leurs métadonnées avec le JRC, le centre d'étude scientifique de la Commission.